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Acteurs anonymes identifiés

Par une enquête externe, on peut identifier trois des autres contributeurs des « Escriz de divers Poetes à la louange de Louïze Labé Lionnoize ».

Jean-Antoine de Baïf

C'est au XIXe siècle que les éditeurs de Louise Labé ont reconnu Jean-Antoine de Baïf (1532-1589) comme l'auteur de deux pièces des « Escriz de divers Poetes » : l'édition de 1824 lui attribue la pièce [17] ("Ô ma belle rebelle ») et c'est l'édition de 1887 qui adjoint la pièce [15] (« Que faites-vous, mes compagnons »).

Ces deux pièces paraissent en effet, cette même année 1555, dans les Quatre livres de l'Amour de Francine (f. 69v et f. 75v), mais dans des versions sensiblement différentes, qui n'incluent aucune référence à Louise Labé. C'est seulement par leur déplacement dans le contexte des Euvres, par l'ajout du titre et par les modifications du texte (en particulier pour la pièce « Que faites-vous, mes compagnons »), que ces poèmes se trouvent associés à la figure de Louise Labé et à son contexte lyonnais. Ce n'est sans doute pas Baïf lui-même qui est l'auteur de ces transformations, mais Olivier de Magny, puisque ce dernier prend soin d'inscrire son propre nom à la place de celui de Baïf (ainsi que celui de Michel de Givès à la place de celui de Jacques Tahureau) dans les vers de la pièce « Que faites-vous, mes compagnons ». Baïf et Magny se connaissent depuis 1553 mais on ne sait pas si le premier a été informé de cette appropriation de ses vers à un contexte tout différent, dont il a pu tout ignorer.

 

Lattanzio Benucci

Un des sonnets italiens des « Escriz de divers Poetes » (« Ardo d'un dolce fuoco ») doit être attribué au poète siennois Lattanzio Benucci (1521-1598) : il figure en effet dans un recueil manuscrit de ses poèmes, réalisé après sa mort, conservé à la Bibliothèque Vaticane (Fondo Chigi I VIII 295, f. 102r). Il apparaît, comme dans les Euvres, sous le seul titre « Sonetto ».

Cette signature renforce les liens entre les Euvres de Louïze Labé Lionnoize et leurs modèles italiens, dans la mesure où Benucci est en effet fortement impliqué dans l'émergence des autrices italiennes. En 1547, il contribue au recueil des Rime de Tullia d'Aragona et il est, avec Benedetto Varchi, l'un des interlocuteurs de Tullia dans la dialogue Della infinità di amore qu'elle fait paraître la même année. En 1555, il fait paraître trois sonnets dans un volume d'hommage à Livia Colonna (Rime di diversi eccelenti autori in vita e in morte dell'illustrissima signora Livia Colonna, Rome, Antonio Barré, 1555). Dans l'anthologie féminine réunie par Lodovico Domenichi en 1559, il échange des vers avec la poétesse siennoise Virginia Martini Salvi (Rime diverse d'alcune nobilissime e virtuosissime donne, Lucques, Busdrago, 1559). L'année suivante, un autre échange de vers avec la poétesse Laura Battiferri degli Ammannati figure dans Il primo libro dell'opere toscane de cette dernière (Florence, Giunti, 1560). D'autres échanges avec Tullia d'Aragona, Laura Battiferri, Virginia Martini Salvi ou Onorata Tancredi sont restés manuscrits. Il s'intéresse aussi aux recherches de son temps sur l'identité de Laure, la femme aimée de Pétrarque. Il a également laissé un Dialogo de la lontananza (« Dialogue sur l'éloignement ») dans lequel femmes et hommes échangent leurs idées sur l'amour et raillent les misogynes incapables de participer à de tels échanges.

Grâce aux recherches récentes (Bertolio, Garullo) consacrées à ce poète jusque là méconnu, on sait qu'il séjourne parfois en France (passant alors par Lyon) au cours des années 1550, alors qu'il est au service du cardinal Antonio Trivulzio. La poursuite des recherches permettra peut-être d'en savoir plus sur sa contribution aux Euvres.

Sources

BERTOLIO, Johnny Lenny, « Love and graves between Arquà and Avignon : a further contribution to the Tombaide (1540) launched by Alessandro Piccolomini », Renaissance Studies, 31/5, 2016, p. 723-734.

BERTOLIO, Johnny Lenny, « Modalità epistolari nei capitoli in terza rima di Lattanzio Benucci (1521-1598) », Italique. Poésie italienne de la Renaissance, XIX, 2016, p. 81-112.

BERTOLIO, Johnny Lenny, Umanesimo volgare nell’Italia del Cinquecento : la vita e le opere di Lattanzio Benucci (1521-1598), Ph. D., University of Toronto, 2017.

GARULLO, Maria Antonietta, « Notizie sulla vita e sull’opera di Lattanzio Benucci “giureconsulto sanese” », Scaffale Aperto. Rivista di Italianistica, 5, 2014, p. 9-47.

 

Giulio Nuvoloni

Comme l’a signalé Mireille Huchon (2020, p. 69), à partir d’informations transmises par Jean-Eudes Girot, le madrigal italien « Arse così per voi », pièce [20] des « Escriz de divers Poetes », peut être attribué au « cavaliere » mantouan Giulio Nuvoloni, sur la foi de sa republication en 1559 dans une anthologie poétique (Rime di diversi autori eccellentiss[imi]. Libro nono, Cremona, Vincenzo Conti, 1560, p. 216-217) : c’est seulement la table des matières, à la fin du volume, qui attribue le texte à Nuvoloni, mais cette attribution est vraisemblable dans la mesure où le texte reparaît l’année suivante, sans nom d’auteur, dans un recueil de madrigaux du compositeur mantouan Alessandro Striggio (Il Primo libro de Madregali a cinque voci, Venetia, Antonio Gardano, 1560, p. 25), auquel on sait par ailleurs que Nuvoloni est lié.

Dans l’histoire éditoriale de ce bref poème, c’est cependant la seule fois qu’il est attribué à un auteur. Le poème apparaît déjà en 1555, avec d’autres poèmes non signés, dans un recueil du compositeur Pietro Taglia (Il primo libro de madrigali a quattro voci, Milano, Francesco e Simone Moscheni, 1555), et il connaît ensuite d’autres mises en musique : par Giovanni Monino (Il primo libro de Madrigali a tre voci, Milan, 1572) mais aussi par un compositeur qui peut constituer un lien possible avec le monde lyonnais, François Roussel (ou Francesco Rosselli ou Rossello). Roussel publie en effet une mise en musique de ce poème en 1565 dans un recueil imprimé à Rome (Il Primo libro delli Madrigali a quattro voci, Roma, Valerio Dorico, 1565) : or Roussel a vécu à Lyon dans les années 1550, au service de Guillaume de Gadagne et, selon Du Verdier (Bibliotheque, 1585, p. 217), il aurait mis en musique un huitain de Jean du Peyrat pour sa fiancée Clémence de Bourges.

En ce qui concerne Nuvoloni lui-même, lié à la cour des Gonzague, amateur de musique et membre en 1564 de l’académie des Invaghiti sous le nom de « Pacifico », on ne connaît pas de liens avec la France ou avec Lyon, ni avec d’autres acteurs de la publication des Euvres. Il a contribué par quelques poèmes à des hommages à des femmes lettrées, comme Giovanna d’Aragona, et sa propre épouse, Marzia Gonzaga, est célébrée comme telle par Lodovico Domenichi dans son traité La nobiltà delle donne (1549, f. 259v).

 

Sources

GARDEN, Greer, « François Roussel : A Northern Musician in Sixteenth-Century Rome », Musica Disciplina, 31, 1977, pp. 107-133.

LORENZONI, Anna Maria, « Una “Madonna” di Mantegna e “una Madonna et un putino” di Raffaello a Mantova nel 1614 », dans Andrea Mantegna,  impronta del genio. Convegno internazionale di studi, a cura di Rodolfo Signorini, Viviana Rebonato e Sara Tammaccaro, Firenze, Leo S. Olschki, 2010, t. II, p. 521-573.

ROUSSEL, François, Opera omnia. III. Madrigals (originally published in anthologies), ed. Greer Garden, American Institute of Musicology, Hänssler-Verlag, 1980.

ROUSSEL, François, Opera omnia. V. Chansons. 1. (originally published in anthologies). 2. (Chansons Nouvelles…, Paris, A. le Roy & R. Ballard, 1577), ed. Greer Garden, American Institute of Musicology, Hänssler-Verlag, 1982.

STRIGGIO, Alessandro, Il primo libro de madrigali a cinque voci, ed. David Butchart, Middleton (Wisconsin), A-R Editions, 2006.

TAGLIA, Taglia, Il primo libro de madrigali a quattro voci (1555), ed. Jessie Ann Owens, Garland, 1995.

TORELLI, Daniele, « Il madrigale nella Casale dei Gonzaga : nuove fonti, testimonianze inedite e un unicum milanese », in « Musica se extendit ad omnia ». Studi in onore di Alberto Basso in occasione del suo 75° compleanno, a cura di Rosy Moffa - Sabrina Saccomani, Lucca, Libreria Musicale Italiana, 2007, t. I, p. 132-209.

VOGEL, E., EISNTEIN, A., Bibliography of Italian Secular Vocal Music Printed between the Years 1500-1700, Washington, D.C., 1945, vol. 2, n° 2432, p. 1506-1507.

(Remerciements à Jessie Ann Owens)