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1730 Colonia

Dominique de Colonia, Histoire litteraire de la ville de Lyon, avec une bibliotheque des auteurs Lyonnois, sacrez et profanes, distribuez par siécles. Seconde et derniere partie, qui commence à l'année 600, et finit à l'année 1730, Lyon, François Rigollet, 1730, p. 542-546 (Chapitre VIII. Lyonnoises illustres dans la Republique des Lettres, § II)

Un exemplaire numérisé est consultable sur le site Google Livres.

 

Quelque soin qu'ait pris Clement Marot de vers connoître par ses Vers les cinq ou six illustres Lyonnoises, dont nous venons de parler, leur reputation n'égale pas néanmoins celle de Loüise *l'Abbé, dont il ne dit mot, et qu'on appelloit communément la belle **Cordiere : nom qu'elle a eû l'honneur de laisser à la Ruë où elle demeuroit, qui le porte encore aujourd'hui. Il n'est sorte de loüanges que les Auteurs contemporains, étrangers, et domestiques n'ayent donnée, comme à l'envi, à cette Loüise l'Abbé. La Croix-du-Maine l'appelle une femme très-docte, qui écrivoit fort bien en Vers et en Prose ; et il ajoûte qu'elle avoit pour anagramme, ces deux mots, belle à soi. Paradin, qui étoit à Lyon de son tems, et qui a pû la connoître, en fait un éloge si outré, qu'il paroît bien que l'adulation, et même l'adulation la plus excessive, lui dicta les expressions dont il s'est servi à son égard. Loüise l'Abé avoit, dit-il, ***la face plus angelique qu'humaine : mais ce n'étoit rien à la comparaison de son esprit tant chaste, tant vertueux, tant poëtique, tant rare en sçavoir, qu'il sembloit qu'elle eût été créée de Dieu pour être admiré comme un grand prodige entre les humains. Car encore qu'elle fût instituée en la Langue latine, dessus et outre la capacité de son sexe, elle étoit admirablement excellente dans la Poësie des Langues vulgaires, dont rendent témoignage ses œuvres qu'elle a laissées à la posterité. Son cabinet étoit rempli des Livres les plus curieux qu'on eût écrits jusqu'à son tems en Italien, en Espagnol, et en François. Elle tournoit bien un Vers en ces trois sortes de Langues qu'elle avoit parfaitement bien apprises. Toutes ces qualitez jointes à son humeur bienfaisante, lui attirerent les plus grands éloges en Grec, en Latin, et en François. Un des Auteurs qui l'exalterent le plus, fut le célébre Medecin Jaques ****Pelletier, grand Mathematicien, et grand Poëte. Ce sçavant homme, connu par le grand éloge qu'en ont fait MMrs De Thou, et sainte Marthe, Scaliger, Vossius, et Teissier, étant venu à Lyon vers le milieu du seiziéme siecle, composa à l'honneur de cette Ville une fort belle Ode, à laquelle Loüise l'Abé a la meilleure part. Car après avoir expliqué fort en détail ce qu'il y avoit vû de plus remarquable : la situation, les bâtimens, le commerce de la Ruë Merciere, le Change, l'Imprimerie et la Librairie, le merite des Dames ; il ajoûte, en finissant son Ode, qu'il n'a rien vû de si ébloüissant que le merite personnel et les merveilleux talens de Loüise l'Abé.

Ode Jaques Pelletier à la loüange de Lyon, et de Loüise l'Abé.

Mon heur voulut qu'un jour Lyon je visse […]

Mais il nous faudra bien rabattre de tous ces magnifiques éloges, et sur tout de la peinture que Paradin nous a faite de sa vertu, si ce qu'en disent Du Verdier et De Rubys, se trouve veritable. Ils prétendent, (et ce n'est pas, à mon avis, sans apparence de verité,) que Loüise l'Abé avoit gâté ses heureux talens par un libertinage *****de mœurs, qui n'étoit pas moins condamnable que celui des Phrynez, et des Laïs, quoi qu'il fût beaucoup plus raffiné. Ses écrits furent imprimez à Lyon en 1555 par Jean de Tournes, sous ce titre : les Oeuvres de Loyse l'Abé Lyonnoyse, &c. À la tête du Livre on voit quantité de Vers François, Italiens, Latins et Grecs, que divers Poëtes firent à son honneur.

Le plus joli des ouvrages de Loüise est un ingenieux dialogue en Prose, sur l'Amour aveuglé par la Folie, dans une querelle qu'ils prirent ensemble, en se disputant le pas à la porte du Palais de Jupiter, qui avoit invité tous les Dieux à un grand Festin. L'affaire fut portée avec grand bruit par l'Amour et sa mere Venus au Conseil des Dieux, assemblez pour le festin. Apollon plaida pour l'Amour, et Mercure pour la Folie. Jupiter prononça l'Arrêt, et il condamna la Folie à servir désormais de guide à l'Amour, puisqu'elle avoit eû la malice de lui crever les deux yeux. Loüise l'Abé dédia à sa bonne amie Clemence de Bourges cette heureuse fiction Poëtique, qu'on a depuis tournée en tant de manieres, et que divers Poëtes ont voulu s'approprier.

* Les Auteurs qui en parlent, la nomment tantôt l'Abé, ou l'Abbé.

** Elle avoit épousé un Marchand qui negocioit en cables et en cordes.

*** Paradin Hist. de Lyon, p. 355.

**** Jacques Pelletier, Principal du Collége du Mans à Paris, étoit, dit la Croix-du-Mayne, Grand Mathematicien, Philosophe, Orateur, Poëte, Medecin. Il a laissé un traité d'Algebre, un Commentaire sur Euclide, un Art Poëtique, des traductions d'Homere, de Virgile, d'Horace, un traité d'Arithmetique, un de Geometrie, un recüeil de ses Poësies Françoises. Une Oraison funebre d'Henri VIII Roi d'Angleterre, quantité de discours et d'autres ouvrages Latisn, &c.

***** Elle n'en vouloit, disent-ils, qu'aux personnes distinguées par leur esprit, et par leur sçavoir.

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