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1585 Du Verdier

Antoine Du Verdier, La Bibliotheque, Lyon, Barthélemy Honorat, 1585, p. 822-829.

Un exemplaire numérisé est consultable sur le site Google Livres.

 

LOYSE LABE courtisane Lyonnoise (autrement nommée la belle Cordiere pour estre mariée à un bon homme de Cordier) piquoit fort bien un cheval, à raison dequoy les gentilshommes qui avoyent accez à elle l’appelloyent le capitaine Loys, femme au demeurant, de bon et gaillard esprit et de mediocre beauté : recevoit gracieusement en sa maison seigneurs, gentilshommes et autres personnes de merite avec entretien de devis et discours, Musique tant à la voix qu’aux instrumens où elle estoit fort duicte, lecture de bons livres latins, et vulgaires Italiens et Espaignols dont son cabinet estoit copieusement garni, collation d’exquises confitures, en fin, leur communiquoit privement les pieces plus secretes qu’elle eust, et pour dire en un mot faisoit part de son corps à ceux qui fonçoyent1 : non toutesfois à tous, et nullement à gens mechaniques et de vile condition quelque argent que ceux là luy eussent voulu donner. Elle ayma les sçavans hommes sur tous, les favorisant de telle sorte que ceux de sa cognoissance avoient la meilleure part en sa bonne grace, et les eust preferé à quelconque grand Seigneur et fait courtoisie à l’un plustost gratis qu’à l’autre pour grand nombre d’escus : qui est contre la coustume de celles de son mestier et qualité. Ce n’est pas pour estre courtisanne que je luy donne place en cete Bibliotheque, mais seulement pour avoir escrit en prose françoise,
Debat de Folie et d’Amour, dialogue. Et en vers, iii. Elegies, xxiiii. Sonnets, dont y en a un en Italien. [Le tout impr. à Lyon 8°, par Jean de Tournes 1555. Avec escrits de divers Poëtes à la louange d’icelle Loyse Labé, tant en vers grecs, latins, italiens que françois. Elle dedia ledit dialogue à damoiselle Clemence de Bourges, dont l’argument est tel. Jupiter faisoit un grand festin [… reprise intégrale de l'Argument du "Debat de Folie et d'Amour"]. Jaques Peletier a fait une Ode à la louange de ceste Loïse qui dit,
Mon eur voulut qu'un jour Lyon je visse [… reprise intégrale de l'ode de Jacques Peletier du Mans].

      Epigramme d'un autre Poëte.

Louise est tant gracieuse et tant belle [… reprise intégrale de la pièce 13 des "Escriz de divers Poëtes"]

      Au premier discours du debat de Folie et d'Amours.

Les effects et yssuës des choses les font louer ou mespriser.

      Au 4. discours

En ce se monstre la grandeur d'Amour, quand on aime celuy dont on est mal traicté.

      Au 5. discours

Si tout l'univers ne tient que par certaines amoureuses composicions ; si elles cessoient, l'ancien abyme reviendroit. Ostant l'amour tout est ruiné. C'est donc celuy qu'il faut conserver en son estre : c'est celuy qui fait multiplier les hommes, vivre ensemble, et perpetuer le monde, par l'amour et solicitude qu'ils portent à leurs successeurs.

      Apollon plaidant pour Amour.

Les hommes sont faits à l'image et semblance de nous, quant aus esprits : leurs corps sont composez de diverses complexions [… reprise du discours d'Apollon, éd. 1555 p. 40-58, jusqu'à…] Voila les maus, qui sont à creindre, si Folie se trouve autour d'Amour etc. Vous pourrez voir la conclusion d'Apollon pour Amour, et apres la Defense de Folie prononcée par Mercure.

  • 1payaient

Antoine Du Verdier (1544-1600), issu de la bourgeoise marchande du Forez (c’est lui-même qui anoblit son nom par l’introduction d’un « Du »), fit une carrière dans les armes avant d’obtenir des charges administratives et de devenir en 1580 contrôleur général des Finances dans la Généralité de Lyon, ville où il s’établit alors. Amoureux des lettres, polygraphe lui-même (il publie, traduit, compile et signale des livres qu'il a écrits sans les publier), il entreprend, parallèlement à La Croix du Maine, un travail d’inventaire bibliographique, pour lequel il noue d’intenses relations avec le milieu du livre à Lyon, par exemple en passant des contrats avec les grands libraires afin de se procurer la documentation nécessaire à la rédaction de sa Bibliotheque. À sa mort, son fils Claude Du Verdier sera obligé de disperser la bibliothèque afin de faire face aux dettes ainsi contractées par son père.

La notice qu’Antoine Du Verdier consacre à Louise Labé est assurément le texte le plus influent quant à la postérité de l’autrice : citée sans interruption à partir de Guillaume Colletet, c’est elle qui fixe l’image de la courtisane lettrée, et, à partir de Ruolz (1750), contester cette image reviendra à contester l’autorité de Du Verdier.

Quelques éléments du portrait étaient déjà disponibles dans des sources imprimées, en particulier chez François de Billon (la réputation de courtisane, le goût pour les activités réservées ordinairement aux hommes), mais d’autres sont tout à fait neufs et montrent que Du Verdier a bénéficié d’informations de première main : il est ainsi le premier à associer le surnom « belle Cordière » au mariage de Louise avec un cordier, ce que confirment les archives ; et c’est lui qui révèle, derrière les initiales « M. C. D. B. L. », l’identité de la dédicataire, Clémence de Bourges, à laquelle il consacre ailleurs une notice très élogieuse (p. 218-219).

Pour les autres éléments du portrait, il est impossible de dire si Du Verdier les tient de témoins directs qu’il peut fréquenter à Lyon ou s’il les a déduits du livre lui-même, qu’il a sous les yeux en écrivant : la mention du « cheval » rappelle les v. 37-42 de la troisième élégie ; la pratique musicale était mentionnée dans l’épître à Clémence de Bourges et elle était aussi un élément de la persona poétique de Labé dans ses élégies et ses sonnets ; quant à l’insistance sur l’environnement lettré dans lequel vivait l’autrice, on peut y voir un effet de la section des « Escriz de divers Poëtes », comme si l’accompagnement textuel masculin proposé par le livre se transformait en reconstitution biographique.

Notons enfin, même si Du Verdier décrit scrupuleusement la structure du livre, l’importance particulière qu'il accorde au « Debat de Folie et d’Amour », seul texte de Labé dont il choisit de reproduire un très long passage (pratique habituelle chez lui).