Aller au contenu principal

Le témoignage des exemplaires

Que nous apprennent les exemplaires survivants des éditions du XVIe siècle sur l'histoire de la lecture de Louise Labé ? Sont réunies ici les diverses marques laissées dans ces exemplaires par leurs possesseurs et leurs lecteurs ou lectrices, aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Rappelons que ces exemplaires survivants ne représentent qu'une infime partie des exemplaires qui ont véritablement circulé et qu'ils donnent de cette circulation une image déformée, dans la mesure où les livres appartenant aux bibliothèques les plus prestigieuses ont toujours plus de chance de survivre.

Au XVIe siècle

Londres, British Library (C.40.b.1) – Lyon, J. de Tournes, 1555

Cet exemplaire présente la marque de possession portant la date la plus ancienne : 1560.

Voici la description offerte par le catalogue de la British Library : «Few manuscript notes. On title page, names of previous owners, partially illegible : "cest livre est a moy Guillaume Gapran [?] ... flechyer 1560 ..."; "Geff. Fenton" ; "To the right honourable Thomas [?]". The volume may have been used as a texbook for learning French.»

Le nom «Gapran» a parfois été lu «Gaynan». Ajoutons que, sur la page de titre, la date «M. D. LV.» a été modifiée à la plume en «M. D. LVIII», peut-être en souvenir d'une date d'achat du livre.

Cet exemplaire est entré dans les collections de la British Library avec la bibliothèque de Sir Hans Sloane (1660-1753), à la mort de ce dernier : la page de titre porte encore le numéro de catalogage («R 580») de la bibliothèque Sloane.

Compléments et images à venir.

 

Paris, BnF (Rés. Ye. 1651) – Lyon, J. de Tournes, 1555

Cet exemplaire présente en page de titre deux mentions manuscrites portant la même date, 1596. En haut : «Emebam Nozerethi 1596 3 ass.» («Je l'ai acheté à Nozeroy [?] en 1596 pour 3 livres»). Au centre  : «G. Boloeus J. V. D. 1596» («Boloeus » est une latinisation commune pour le nom « Boileau»). Ces possesseurs n'ont pas été identifiés.

ex-libris BNF Rés Ye 1651

© BnF, Paris

Au XVIIIe siècle, cet exemplaire fait partie de la riche collection de Camille Falconet, médecin consultant de Louis XV. À sa mort (1762), 11 000 de ses livres viennent compléter la bibliothèque royale. (Merci à Louise Amazan et Estelle Boeuf Belilita, BnF)

 

Paris, Bibliothèque Mazarine (8° 22206 Rés.) – Lyon, J. de Tournes, 1555

À la dernière page du livre (contenant la fin du privilège royal), apparaissent – écrites à l'envers – deux mentions manuscrites datables du XVIe siècle :  «A Mademoiselle Rondeau [signature] monsieur» ; «donné à Paris le disesptiesme novembre».

L'exemplaire apparaît ensuite dans l'inventaire manuscrit (1661-1662) de la bibliothèque du cardinal Mazarin et dans celui de la Bibliothèque Mazarine (1690).

1555 Mazarine 8° 22206 endroit copie 1555 Mazarine 8° 22206 copie

© Bibliothèque Mazarine, Paris.

 

Au XVIIe siècle

Paris, Bibliothèque Mazarine (8° 36516-1 Rés.) – Lyon, J. de Tournes, 1555

Ex-libris en page de titre : «Du Bouchet 8 l. 1619».

Henri Du Bouchet (1593-1654), seigneur de Bournonville, est conseiller au Parlement de Paris. Il lègue tous ses livres à l'abbaye de Saint-Victor (dont on voit le cachet en bas à droite).

Les Euvres de Labé constituent la première partie d'un recueil factice, qui comprend en outre les Rymes de Pernette Du Guillet (Lyon, J. de Tournes, 1552), la Fable du faux cuyder de Marguerite de Navarre (Lyon, J. de Tournes, 1547) et La Nouvelle Venus de François Habert (Lyon, J. de Tournes, 1547).

Labé 1555 Mazarine 8° 36516-1

© Bibliothèque Mazarine, Paris

 

Genève, Collection Barbier-Mueller – Lyon, J. de Tournes, 1556

Ex-libris en page de titre : «Caroli Labbé 1647».

Sans lien de parenté avec Louise, Charles Labbé de Monvéron (1582-1657) est avocat au parlement de Paris et philologue, en relation avec Joseph-Juste Scaliger, Isaac Casaubon, Guy Patin.

Voir Ducimetière, N., Mignonne, allons voir… Fleurons de la bibliothèque poétique Jean Paul Barbier-Mueller, Genève et Paris, 2007, n° 50 (p. 188-193).

 

Vienne, Österreichische Nationalbibliothek (BE 5 T 51) – Lyon, J. de Tournes, 1556

Ex-libris en page de garde : «Ex libris Alexandri Petavii in Francorum Curia Consiliarii Pauli Filii».

Alexandre Petau (1610-1672), conseiller au parlement de Paris, complète la très riche bibliothèque qu'il a héritée de son père Paul Petau (1568-1614).

 

Paris, Bibliothèque Mazarine (8° 23109) – Lyon, Ps. J. de Tournes, 1556

Le livre figure à l'inventaire après décès de la bibliothèque du cardinal Mazarin.

 

Paris, BnF (Rés. Ye. 1649) – Lyon, ps. J. de Tournes, 1556

Le volume a été catalogué par Nicolas Clément (1674-1684). On ne sait pas comment le volume était entré à cette date dans la Bibliothèque royale. (Merci à Louise Amazan et Estelle Boeuf Belilita, BnF)

 

Au XVIIIe siècle

Versailles, Médiathèque (Goujet in-8 69) – Lyon, J. de Tournes, 1555

Ex-libris manuscrit en page de titre : le catalogue de la Bibliothèque lit «Grollaut» ; Jean-Baptiste de Proyard lit «Volland» et date l'ex-libris des années 1730-1740 (Louise Labé, Œuvres, 1555. Exemplaire de l'édition originale relié en vélin de l'époque, Paris, Proyart, Cahier n° 11, s.d., p. 34).

BM Versailles Labé 1555 Goujet in8 69 ex-libris

© Médiathèque de Versailles

Ce possesseur n'a pas été identifié.

L'exemplaire présente également deux annotations manuscrites anciennes, l'une notant un passage du «Debat de Folie et d'Amour» comme une source de la Fontaine (p. 99 : «Et guidera Folie l'aveugle Amour»), l'autre identifiant «Olivier de Magni» comme l'auteur de la pièce [15] des «Escriz de divers Poëtes» (p. 133).  On relève également divers soulignements à la plume (p. 115, 117, 121, 122, 128, 155, 158, 163, 166, 170, 175). L'exemplaire porte en outre une étiquette de confiscation révolutionnaire (n° 1327). (Merci à Virginie Bergeret-Maes, Médiathèque de Versailles)

 

Cambridge, St Johns College Library (O 46) – Paris, J. Parent, 1578

Ex-libris et ex-dono : Domenico Antonio Ferrari.

Annotation manuscrite qui identifie «Louise Labé Lionnoise» dans l'abréviation au titre «L. L. L.», en s'appuyant sur l'Histoire litteraire de la ville de Lyon de Dominique de Colonia (1730).

Domenico Antonio Ferrari (1685-1744), d'origine napolitaine, était devenu le bibliothécaire de Thomas Coke, comte de Leicester. Sa bibliothèque, léguée à St John's College, compte 51 volumes, représentant 98 livres, dont de nombreuses pièces du XVIe siècle.

 

Orléans, Médiathèque municipale (Rés. D. 497(2)) – Lyon, J. de Tournes, 1556

Ex-dono en page de titre du premier volume du recueil factice dans lequel figure l'édition de Labé : «Biblioth. publ. aurelian. ex-dono D. abbatis de Hautefeuille, 1724».

L'édition de Labé constitue la deuxième pièce (et la plus ancienne) de ce recueil factice réunissant cinq livres de poésie française (1556-1572), après Le Premier livre des vers de Marc-Claude de Buttet (Paris, Michel Fezandat, 1561), et avant La Savoye de Jacques Peletier du Mans (Annecy, Jacques Bertrand, 1572), L'Amie rustique et autres vers divers de François Bérenger de la Tour d'Albenas (Lyon, Robert Granjon, 1558) et L'Amie des Amies du même auteur (Lyon, Robert Granjon, 1558).

L'abbé Jean de Hautefeuille (1647-1724), orléanais, est l'auteur de plusieurs ouvrages de physique et de mécanique. Il lègue ses livres à la bibliothèque publique d'Orléans, confiée au couvent mauriste de Bonne-Nouvelle, après le legs en 1714 des livres de Guillaume Prousteau, professeur de droit.

 

Paris, Bibliothèque Mazarine (8° 45398-2) – Paris, J. Parent, 1578

L'exemplaire a été relié au XVIIIe siècle à la suite d'un autre livre, presque contemporain : [Louis Le Jars], Lucelle. Tragicomedie en prose françoise. Dediée à Monsieur du Brueil, Paris, Robert Le Magnier, 1580.

Aucune marque de possession ou d'usage n'apparaît dans le volume, entré dans les collections à la suite des confiscations révolutionnaires. (Merci à Christophe Vellet, Bibliothèque Mazarine)

 

Londres, British Library (C.8.g.20) - Lyon, J. de Tournes, 1555

L'exemplaire est issu de la bibliothèque du roi Georges III (1738-1820). Il passe ensuite dans la bibliothèque du roi Georges IV (1762-1830) et figure au catalogue de la British Library en 1826.

 

Lyon, Bibliothèque municipale (Rés. 355915) – Lyon, J. de Tournes, 1555

Cet exemplaire, entré à la bibliothèque par le legs de Jean-Antoine-Louis Coste (1784-1851), a fait l'objet (à la fin du XVIIIe siècle ou au début du XIXe siècle) d'une opération visant à masquer qu'il était incomplet des premiers feuillets. La description de cette opération a été donnée pour la première fois par Dominique Varry en 2014 (Dominique Varry, «Sur quelques pages d’une édition de Louise Labé (1555). À propos de l’exemplaire Rés. 355915 de la Bibliothèque municipale de Lyon», dans Copier et contrefaire à la Renaissance. Faux et usage de faux, dir. P. Mounier et C. Nativel, Paris, Champion, 2014, p. 453-466). Les feuillets a2, a3 et a4 (et peut-être a1) ont été entièrement recomposés avec du matériel du XVIIIe siècle évoquant (pour un œil de 1800) un imprimé du XVIe siècle. Le procédé, qui vise à redonner un aspect «complet» à un ouvrage endommagé, est nommé en français, dans l'argot de la librairie, «gillotage» (du nom de Firmin Gillot, 1820-1872, inventeur de la zincographie), tandis qu'on parle en anglais de «sophisticated books».

Dominique Varry a décrit le matériel utilisé pour cette opération et a pu préciser en partie son origine. Le papier porte le filigrane «[AU]VERGNE F[IN]» et date d'après 1739. Les caractères ont été fondus après 1750, sans doute d'après des poinçons de la fonderie Gando à Paris. Le bandeau provient de l'imprimerie Endters de Nuremberg, qui l'utilise depuis 1721. L'origine du fleuron en cul-de lampe – typique des ornements « rocaille » du XVIIIe siècle – n'a pas pu être établie avec certitude. En ce qui concerne la page de titre (f. a1), soit elle a pu être récupérée (ce qui signifierait que seuls les trois feuillets suivants étaient endommagés), soit, comme Dominique Varry en fait l'hypothèse, les auteurs du maquillage ont pu récupérer une authentique page de titre imprimée au XVIe siècle avec l'encadrement du Labé, gratter son centre et recomposer le titre typographique en utilisant des caractères anciens. Quoi qu'il en soit, une telle opération, à visée commerciale, témoigne du nouvel intérêt suscité par Louise Labé et son livre à la fin du XVIIIe siècle, après la réédition lyonnaise de 1762.

Euvres, J. de Tournes, 1555 (BnF Ye 1651) Exemplaire «gilloté» (BML Rés. 355915)

Labé 1555 BnF Rés. Ye 1651 titre

f. a1 (© BnF)

Labé 1555 BML Rés 355915

f. a1r (© BM Lyon)

Labé 1555 BnF Rés Ye 1651 f. a2r

f. a2r (© BnF)

Labé 1555 BML Rés 355915 a2r

f. a2r (© BM Lyon)

Labé 1555 BnF Ye 1651 f. 4v

f. a4v (© BM Lyon)

Labé 1555 BML Rés 355915 a4v

f. a4v (© BM Lyon)

Les particularités de cet exemplaire avaient été relevées par Enzo Giudici, lorsqu'il travaillait à son édition de Labé (Louise Labé, Œuvres complètes, Genève, Droz, 1981, p. 11) : la recomposition de l'épître à Clémence de Bourges s'est en effet traduite (outre les deux erreurs dans l'adresse : un point après le A et l'absence du L) par quelques discrètes modifications textuelles, impossibles à éviter afin de respecter la pagination en dépit de la différence des caractères. Giudici présentait ces modifications comme des variantes de 1555, qu'il relevait sans les commenter.

Mais cet exemplaire «gilloté» a ensuite joué un rôle dans l'élaboration par Mireille Huchon de son hypothèse d'une «supercherie» : dans son livre Louise Labé une créature de papier (Genève, Droz, 2006), elle en tire en effet deux «arguments». D'une part, elle accorde une importance inédite aux variantes du texte de l'épître, qui lui semblent «obéi[r] à un dessein particulier» quant à la construction de la figure de Louise Labé, dans la mesure où elle considère qu'«elles mettent en doute l'excellence de ses capacités intellectuelles» (p. 169-171, à partir d'une légère modification syntaxique). D'autre part, jugeant les changements dans l'ornementation «du plus grand intérêt» (p. 169), elle attribue le fleuron «rocaille» (XVIIIe siècle) au graveur lorrain du XVIe siècle Pierre Woeiriot, ce qui lui permet d'imaginer une brouille survenue ensuite, durant l'élaboration de la «supercherie», entre lui et l'imprimeur, brouille qui se serait conclue par l'absence dans le livre du portrait gravé prévu (p. 109-111). Après la publication de Dominique Varry, Mireille Huchon a évidemment abandonné ces deux arguments – tandis que l'hypothèse de la «supercherie» poursuivait son chemin.